Rarement une manifestation aura touché autant de gens en si peu
de temps. Et malgré les impacts négatifs de l’arrêt de travail des
routiers, une bonne partie des Témiscabitibiens sont demeurés solidaire
de leurs revendications.
Par Alain Aylwin
Depuis près d’un an, les camionneurs indépendants, qui
transportent habituellement des produits de consommation finis,
attendaient du gouvernement d'importantes modifications au code du
travail afin d’améliorer leurs conditions de travail. La hausse du prix
de l'essence au début d’octobre aura été la goutte qui aura fait
déborder leur « réservoir » de patience.
L’étincelle : le prix de l’essence
Au printemps dernier, La Dépêche publiait une enquête sur le
prix de l'essence anormalement élevé en Abitibi-Témiscamingue
comparativement aux autres régions périphériques du Québec. On peut dire
que les camionneurs témiscabitibiens auront été les premiers dans la
région à vraiment s'indigner et à manifester contre cette situation qui
a des répercussions négatives très importantes sur notre économie axée
sur l’exportation des matières premières majoritairement transportées
par camion.
Dès les premières heures des manifestations, le ministre Rémy
Trudel rendait public une lettre adressée à la Régie de l’énergie où il
demandait une étude comparative détaillée afin d’expliquer la différence
de sept sous entre les essenceries du Saguenay / Lac-St-Jean ( 66,9
cents ) et celles de l’Abitibi-Témiscamingue ( 73,9 cents au début
d’octobre).
Mais après discussion au conseil des ministres, on a opté plutôt
pour une enquête de la Régie étendue également à la région de la
Haute-Mauricie. D’ailleurs, le rapport de cette enquête devrait être
dévoilé d’ici quelques jours.
Le Conseil régional de développement de l'Abitibi-Témiscamingue
(CRDAT) a aussi réagi pendant la crise en appuyant la démarche initiée
par le ministre Rémy Trudel. Ainsi, le Conseil a convenu de défendre une
position régionale devant le MRN-Énergie ainsi que devant la Régie de
l'Énergie en regard des impacts négatifs du prix de l'essence sur le
développement régional. Selon le CRDAT, la région est désavantagée par
rapport aux autres régions du Québec malgré un rabais de 4,65 cents le
litre. En effet, après la région Nord-du-Québec, l'Abitibi-Témiscamingue
est la deuxième région au Québec où le prix de l'essence est le plus
élevé. Même en considérant l'augmentation du prix du gros, les frais de
transport, la taxe spéciale sur l'essence (provinciale et fédérale), la
TVQ et la TPS, pour le Conseil, il semble qu'il y ait entre 14 et 17
cents le litre inexpliqués sur les 75 cents le litre chargés. Lors de
notre enquête du printemps dernier, la Régie ne pouvait pas nous
expliquer les différences entre les régions. Est-ce que la Régie de
l’énergie sera en mesure d’apporter des réponses à cette situation
maintenant?
L’Abitibi-Témiscamingue à sec
C’est surtout au niveau de l’essence que les moyens de pression
des camionneurs ont fait mal. Au plus fort du conflit, pratiquement
toutes les stations-services de l’Abitibi ne vendaient plus d’essence. À
l’essence s’ajoute les denrées alimentaires de base et certains
médicaments qui se sont faits rares pendant la crise. Les Témiscamiens
ont été moins touché à cause de la proximité de l’Ontario mais les
agriculteurs ont eu d’énormes pertes. En fait, le conflit à provoquer un
ralentissement de la vie économique et sociale pour l’ensemble des 154
000 Témiscabitibiens. Plusieurs entreprises ne pouvaient pas opérer
normalement causant ainsi des pertes d’emploi.
Les retards d’approvisionnement des entreprises pourraient
occasionner encore des pertes d’emploi. « La remise en route va être
difficile et ça va prendre du temps», expliquait à la fin de la crise M.
Jean-Yves Baril, président de la chambre de commerce et d’industrie du
Rouyn-Noranda régional. La Chambre a d’ailleurs effectué un rapide
sondage auprès de 14 employeurs du secteur de Rouyn-Noranda. Pour six
d’entres-eux, les pertent se chiffrent au total à un million de dollars.
Dans les autres cas, la perte varie entre de 10% et 50% pour chaque
employeur. Ce qui est sûr, c’est que certains employeurs ont manifesté
leur intention de ne pas rappeler des employés mis à pied pendant le
conflit. Certaines mises à pied auront donc été devancées.
Les politiciens
Une personne qui est resté solidaire des camionneurs est Guy
St-Julien le député fédéral d’Abitibi Baie-James Nunavik. « J’étais à
Louvicourt le vendredi. J’étais là seul. Ils en ont profité pour me dire
ce qu’ils avaient sur le coeur. Je les ai laissé faire sans rien dire »,
soutient le député qui aurait ainsi permis de diminuer la colère de
certains camionneurs. « Pour moi, l’erreur du gouvernement c’est d’avoir
promis trop vite une réforme complexe », explique St-Julien. Pour aider
les personnes, les camionneurs, les travailleurs, les entreprises et les
municipalités qui ont eu à subir des préjudices et des pertes
financières en raison du conflit, réclame du gouvernement du Québec un
programme d’aide financière. « Le gouvernement du Québec doit
s’impliquer immédiatement par un décret spécial de la même manière qu’il
l’a fait lors du conflit survenu à Listuguj à l’été 1998 et le conflit
des Algonquins et des forestiers de l’Abitibi-Témiscamingue à l’été
1999...», déclare le député fédéral. Par ailleurs, St-Julien considère
lui aussi que les prix de l’essence en Abitibi est trop élevé par
rapport aux autres régions du Québec. Il invite le gouvernement
québécois à ne plus faire d’études mais à légigérer dès aujourd’hui sur
les prix de l’essence pour l’Abitibi-Témiscamingue et le Nord québécois.
Pour le député de Témiscamingue, Pierre Brien, les propositions
du député St-Julien sont ridicules : « La dernière tentative de fixation
des prix de l’essence remonte aux années ‘70, et fut désastreuse pour
l’économie. M. St-Julien cherche seulement à faire du spectacle... »
La réaction est aussi vive du côté du ministre Trudel qui
rappel, tout comme Pierre Brien, que c’est le gouvernement fédéral qui a
complètement déréglementer le transport routier au Canada. « Pour que
justice soit faite aux camionneurs et aux entreprises, Ottawa doit
piger dans les 18 milliards $ de surplus et redonner aux victimes de la
déréglementation dans le transport routier ce qui a été pris dans leurs
poches », précise le ministre.
« Les problèmes dans l’industrie du transport routier sont
sérieux, complexes et débordent de la question du prix de l’essence »,
explique monsieur Brien. « Cela appelle des solutions crédibles,
pratiques et qui vont durer dans le temps », précise le député de
Témiscamingue.
À la fin du mois de novembre, Guy St-Julien revenait à la charge
en déclarant au parlement fédéral que le prix de l’essence était
toujours 11 cents trop cher en Abitibi-Témiscamingue: «Le total du prix
à la pompe qui devrait être en vigueur si la concurrence était
vigoureuse et effective en Abitibi-Témiscamingue, une grande région
éloignée des grands centres, serait de 64,8 cents le litre. Le 6 octobre
dernier, le prix de l’essence ordinaire était de 75,9 cents le litre à
Val-d’Or.»
Dans le cas des camionneurs indépendants de produits finis rien n’est réglé mais la récente entente entre le gouvernement et les camionneurs de vrac indique bien que des solutions sont possibles malgré la complexité du dossier. La Dépêche Édition Internet continuera donc de suivre de près les suites du conflit des camionneurs.